Article initialement publié sur le site de "L'Usine nouvelle" ici

Le superordinateur « Dojo » de Tesla, dont la construction a débuté cet été, est présenté comme le futur superordinateur le plus puissant du monde… et de loin. Elon Musk a annoncé qu’avec cet équipement de pointe, il pourra atteindre 100 exaflops avant fin 2024, grâce à un investissement d’un milliard de dollars. Un pari ambitieux : aujourd’hui, l’ordinateur le plus avancé est 100 fois moins puissant.

Le supercalculateur américain Frontier a franchi la barre symbolique de 1 exaflop pour la première fois de l’histoire en juin 2022.

Investir deux fois plus pour faire cent fois mieux ? C’est le défi lancé par Elon Musk avec « Dojo ». Ce supercalculateur, dont la construction a été annoncée par Tesla le 19 juillet, bénéficiera d’un investissement d’un milliard de dollars sur trois ans. L’ambition : créer l’ordinateur le plus puissant du monde. Et de loin. Avec 100 exaflops prévus pour octobre 2024, l’ordinateur sera 100 fois plus puissant que l’ordinateur le plus puissant du monde à ce jour. Elle est destinée à piloter les modèles d’intelligence artificielle à l’origine des voitures autonomes.

Dépassée pour la première fois en 2022 par l’ordinateur américain Frontier, la barrière de l’exaflop correspond à l’exécution de 1 milliard de milliards d’opérations en virgule flottante par seconde. L’Allemagne et la France s’apprêtent à rejoindre le club très convoité des superordinateurs exaflopiques, respectivement en 2024 et 2025, avec les superordinateurs européens Jupiter et Jules Verne. La production de l’ordinateur américain a commencé cet été, avec pour objectif d’entrer dans le top 5 mondial à plus de 0,2 exaflops d’ici janvier 2024. Mais la réalité technique s’annonce plus complexe.

Un délai serré

« Atteindre 100 exaflops d’ici à la fin de 2024 semble ambitieux », déclare Jean-Yves Berthou, directeur du Centre Inria à Saclay, en France. Il a fallu près d’un an à Frontier pour franchir le cap de l’exaflop. « Ici, on passerait d’une situation sans machine à 100 exaflops en un an. Ce n’est pas impossible, mais c’est très optimiste », reconnaît François Bodin, professeur à l’Université de Rennes. Le scientifique souligne, par exemple, les incertitudes entourant l’approvisionnement en puces graphiques GPU, le stockage pantagruélique des données ou l’approvisionnement en électricité. En effet, la consommation moyenne d’un supercalculateur serait de 20 mégawatts, selon le CEA.

L’annonce de Tesla ne précise pas non plus la nature de ces 100 exaflops. L’entreprise n’a pas précisé s’il s’agissait d’une capacité théorique ou réelle. La différence peut être significative : corrigée de facteurs tels que la latence de la mémoire ou la communication entre les nœuds, Frontier atteint une capacité réelle de 1,1 exaflops pour un pic théorique de 1,7 exaflops. Pour évaluer les performances des ordinateurs dans des conditions réelles, les superordinateurs utilisent le « Linpack », un banc d’essai qui regroupe plusieurs programmes et bibliothèques de logiciels. « Ce n’est pas la même chose de produire 100 exaflops en exécutant l’algorithme Linpack que d’avoir une machine avec une puissance de pointe théorique de 100 exaflops en exécutant l’algorithme Linpack que d’avoir une machine avec une puissance de pointe théorique de 100 exaflops », résume François Bodin.

Un superordinateur pas comme les autres

Néanmoins, la principale force de la puissance de calcul de Dojo réside dans sa spécialisation. Frontier, Jupiter ou Jules Verne ont un large éventail d’applications – recherche dans les domaines de l’espace, du climat, des produits pharmaceutiques, de l’énergie et bien d’autres encore. Dojo, en revanche, n’en a qu’un : l’entraînement de modèles d’intelligence artificielle pour les voitures autonomes. Ce type de calcul nécessite moins de précision que les calculs scientifiques.

Cette différence permet à Tesla de construire une architecture de processeur spécialisée, avec un nombre de bits plus faible (et donc une précision de calcul plus faible). précision). « Selon toute vraisemblance, ils fonctionneront sur 8 bits, et non sur 64 bits comme dans l’informatique scientifique classique », explique Jean-Yves Berthou. Ils gagneront donc un facteur 8 en puissance ». En d’autres termes, en acceptant de diviser sa précision de calcul par 8, Dojo pourra effectuer 8 fois plus d’instructions. Il ne faut pas croire que l’Europe est à la traîne, car elle investirait deux fois moins pour cent fois moins de performance », estime le scientifique. La métrique de l’exaflop n’est tout simplement pas utilisée dans le même contexte ici.

Le pari de Tesla a déjà eu un impact significatif : la hausse de son cours en bourse. Un rapport de Morgan Stanley estime que la capitalisation boursière de Tesla pourrait augmenter de près de 600 milliards de dollars (562 milliards d’euros) grâce au potentiel de son superordinateur, qui devrait contribuer à la création de taxis robots. Comme souvent, les annonces d’Elon Musk séduisent les investisseurs. Mais attention : le milliardaire s’est déjà dit « très confiant » quant à l’apparition de robots taxis en… 2020. Ses ambitions pour Dojo pourraient être tout aussi optimistes.